CHAPITRE XVI

 

 

 

Tu es sûr d’être prêt ? demanda le Chat de Feu. Ça risque d’être terriblement dangereux pour toi. Karal haussa les épaules et secoua la tête.

— Pour être franc, je ne suis pas certain du tout d’être préparé à ce genre de confrontation, admit-il. Mais nous n’avons pas le choix. An’desha a besoin d’aide. En plus d’avoir peur de laisser libre cours à ses émotions, il garde sa colère enfermée au plus profond de lui, car il craint d’utiliser ses pouvoirs.

Il se frotta pensivement l’aile du nez.

— Il faut qu’il comprenne que « contrôle » ne signifie pas forcément « refoulement ». Et que le moyen le plus simple n’est pas toujours le bon.

Altra se lécha les coussinets d’une patte.

J’ai vu sa réaction quand on lui a dit que tu avais failli être tué. Il a eu l’air terriblement en colère… Puis plus rien. Il avait complètement intériorisé sa fureur.

— La colère, c’est dangereux quand on est – ou était – un mage spécialisé dans la destruction, dit Karal. Quelqu’un doit lui prouver qu’il peut perdre son sang-froid et donner libre cours à ses émotions sans pour autant blesser autrui.

« Alors, il saura qu’il peut rechercher les affreux souvenirs de l’Adepte Ma’ar et apprendre tout ce qu’il savait sur la magie destructive. Flammechant pense que ces informations sont importantes. Et je sais qu’elles sont la clé de la situation actuelle. Je ne peux pas te dire ce qui m’en convainc, mais c’est comme ça…

Vite, vite, vite… Il était tendu comme la corde d’un arc. Plus que jamais, il avait la sensation que chaque seconde comptait.

Es-tu sûr d’être la personne la plus qualifiée pour ça ? demanda Altra avec une logique implacable. Ne vaudrait-il pas mieux laisser ce travail à un mage ? Il serait plus apte à se défendre, si An’desha perdait tout contrôle. Tu n’as pas la moindre protection, et il risque de te réduire en cendres. (Le Chat de Feu leva vers lui ses grands yeux bleus pleins d’inquiétude et de candeur.) Je ne suis pas certain de pouvoir te protéger de sa rage destructrice.

— C’est pour ça que je dois le faire ! Le cobaye doit être une personne complètement vulnérable, et il faut qu’An’desha le sache. De plus, il faut qu’il la connaisse assez pour qu’elle puisse le mettre en colère en un clin d’œil.

« Flammechant n’est pas qualifié. Il pourrait parer tous les assauts d’An’desha, mais qu’est-ce que ça prouverait ?

« De plus, il faut que ce soit fait ! Sinon, An’desha finira par s’autodétruire. Talia et Flammechant sont d’accord avec moi. S’il continue à intérioriser sa colère, un jour, ses pouvoirs prendront le même chemin et le consumeront.

Et puis, ajouta Altra, c’est ton ami…

— Oui. An’desha est mon ami. Et les amis sont faits pour s’entraider. Nous sommes tous deux des étrangers ici. Parfois, tout ce qu’il nous reste, ce sont nos amis…

Il ne parla pas des nuits où An’desha l’avait serré dans ses bras pendant qu’il pleurait Ulrich. Altra le savait, puisqu’il était là. Il ne dit pas un mot non plus des gentilles attentions de son ami – ni de la manière dont il détournait la jalousie de Flammechant. Rien de tout cela n’avait vraiment d’importance. L’essentiel, c’était qu’An’desha avait besoin d’aide, et que Karal pouvait la lui apporter.

Enfin, s’il n’aidait pas An’desha, ils n’auraient peut-être jamais les brise-lames dont ils avaient tant besoin. La dernière vague avait transformé un gros animal en un monstre qui avait massacré un troupeau avant que vingt hommes armés ne réussissent à en venir à bout.

Les Tayledras avaient constaté des dégâts sur les boucliers spéciaux qui entouraient leurs Vallées. D’après maître Levy, les ingénieurs et les mathématiciens avaient le moyen de prévoir la puissance de chaque vague. Pendant que Natoli le lui expliquait, Karal avait senti les mâchoires du temps se refermer sur eux. Ils devaient faire quelque chose, et vite !

Il lui avait fallu une grande partie de l’après-midi pour trouver le courage d’agir. Pourtant, il ne lui avait pas paru si difficile que ça de se résoudre à affronter un ennemi. Mais affronter un ami, sachant qu’il pouvait le tuer, demandait un tout autre genre de courage !

Enfin, il était aussi prêt qu’il le serait jamais. An’desha s’était réfugié sous sa tente, dans le jardin, déjà ébranlé par une confrontation avec

Flammechant – orchestrée par Karal et l’Adepte. Les effets de la dernière vague de disruption s’étant dissipés, il n’y aurait pas d’interférence de ce côté-là. C’était le moment où jamais !

Comme toujours, ses yeux rencontrèrent ceux du portrait d’Ulrich, désormais accroché dans sa chambre. J’espère que j’ai pris la bonne décision, maître. Je ne suis pas aussi sûr de moi que je l’ai laissé croire à Altra et à Flammechant.

Karal n’attendait pas de réponse du portrait. Il ne fut donc pas surpris de n’en recevoir aucune.

Il tira sur sa tunique, puis descendit dans le jardin.

Les réactions d’An’desha aux conflits émotionnels étaient devenues très prévisibles. Karal ayant pris sa chambre – par peur d’une nouvelle tentative d’assassinat, Kerowyn lui avait ordonné de rester à l’ekele, au moins jusqu’à ce que Solaris ait fait connaître sa volonté –, An’desha n’avait pas d’autre refuge que la petite tente. Chaque fois qu’il était bouleversé, c’était là qu’on le trouvait.

Et il y passait de plus en plus de temps.

Karal fit un signe de tête à Flammechant, qui resterait dans les parages. Serrant les mâchoires, l’Adepte lui répondit de la même façon. Il n’aimait pas plus que lui le rôle qu’il avait dans tout ça.

Flammechant dresserait un bouclier miroir autour de la tente, au cas où An’desha perdrait son contrôle.

S’il doit y avoir des victimes, autant réduire leur nombre au strict minimum. Autrement dit : moi ! Je ne suis pas indispensable. Donc, je peux être sacrifié.

Je suis stupide. M’y voilà…

Il entra dans la tente et s’assit sur les talons à côté d’An’desha. Celui-ci était allongé sur une paillasse identique à celle sur laquelle dormait Karal, un bras sur les yeux.

— Encore caché là-dedans ? lâcha Karal. Que s’est-il passé, cette fois ?

An’desha ne retira pas son bras.

— Flammechant. Il ne comprend pas. Il veut que je fouille dans les souvenirs de Ma’ar. (An’desha serra les poings.) Il refuse de comprendre. Ces souvenirs sont très vieux. Pour les connaître, je dois m’en approcher.

— Et alors ? demanda Karal, avec un certain mépris. Je crois que Flammechant a raison, An’desha. Tu ne penses à personne, sauf à toi. Pour être franc, tu es en train de devenir un enfant gâté. Nous t’avons dorloté et cherché toutes les excuses possibles, et tu es aussi invertébré qu’un champignon !

An’desha se redressa. Stupéfait, il regarda Karal.

— Que… quoi ? bégaya-t-il.

— Tu es aussi invertébré qu’un champignon, An’desha ! accusa Karal. Tu sais que la solution est quelque part dans ta mémoire, mais tu es trop peureux pour essayer de la trouver ! (Prenant un ton geignard, il ajouta :) « Ces souvenirs sont dangereux, ils pourraient me faire du mal. Ils me font peur… » Comme si nous n’avions rien de pire à craindre que quelques mauvais souvenirs !

— Mais je…, commença An’desha, accablé que Karal soit contre lui.

— Toi ! Toujours toi ! Et nous, alors ? Que fais-tu de tout ce que nous accomplissons ? De nos pertes, de la souffrance que nous subissons pendant que tu es roulé en boule ici, dans ton cocon d’auto-apitoiement, te sentant mal-aimé et abandonné de tous ? Que fais-tu des Tayledras, qui essaient de recréer leurs Vallées ? Et des Shin’a’in, qui craignent de voir leurs chevaux se transformer en monstres… Ou de leur ambassadrice, morte il y a quelques jours ? Que fais-tu d’eux ? De Karse ? De Rethwellan ?

An’desha s’était levé et essaya d’écarter Karal de son chemin. Le jeune homme le poussa violemment, refusant de le laisser quitter la tente – évidemment, il ne vint pas à l’esprit du mage qu’il pouvait découper la toile avec sa dague. Il recula d’un pas, et Karal le poussa de nouveau.

Ils étaient pratiquement nez à nez.

— Tu es un lâche et un égoïste, An’desha ! cracha Karal. Voilà beaucoup trop longtemps que m joues au pauvre petit oiseau blessé ! J’en ai assez de ça, et les autres aussi ! Il est grand temps que tu commences à nous aider, au lieu de gémir que tu as peur ! Nous avons tous peur ! A moins que tu ne l’aies pas remarqué ? J’ai eu très peur quand Célandine a failli me tuer, mais tu ne m’as pas entendu me plaindre ! Et tu n’entends sûrement jamais Flammechant gémir qu’il est épuisé, même s’il travaille sur les boucliers jusqu’à en avoir le teint gris !

An’desha s’empourpra.

Mais il n’était pas encore assez furieux. Karal continua à le harceler.

— Tu n’entends pas Ventnoir se plaindre d’être exploité, même si sa blessure à l’épaule n’est pas guérie et qu’il travaille nuit et jour avec les autres mages ! Il est temps que tu cesses de gémir, An’desha, et que tu commences à agir… Sinon, trouve quelqu’un d’autre auprès de qui pleurnicher, parce que nous en avons tous assez de toi !

Le visage d’An’desha était tellement tordu qu’il en devenait méconnaissable, mais Karal continua son attaque verbale.

Le jeune mage était aussi raide qu’un piquet de tente, et il avait les poings serrés…

… Ils étaient entourés de couleurs tourbillonnantes : du rouge brillant et du jaune explosif. Si Karal pouvait voir l’énergie magique, elle devait être assez puissante pour réduire un bâtiment en ruine.

Un jour, en sa présence, Ulrich avait frappé une cible avec la magie. La puissance, au bout des doigts d’An’desha, était deux ou trois fois plus brillante.

Karal aurait voulu prendre ses jambes à son cou. Il avait les nerfs à vif et tout son être lui criait de fuir.

Mais au lieu de détaler, il fit la chose la plus difficile qu’il ait jamais tentée – pire que d’affronter Célandine ou de venir dans ce pays étranger.

Il recula d’un pas, écarta les mains, et afficha un sourire méprisant.

— Eh bien ? J’ai raison, non ? J’ai raison, mais tu n’as pas le courage de l’admettre !

Sans cesser de sourire, il attendit qu’An’desha frappe.

L’air vibrait de pouvoir. Karal avait entendu parler de ce genre de chose, mais il n’en avait jamais fait l’expérience. Désormais, il avait vraiment les cheveux dressés sur la tête…

Finalement, An’desha perdit son contrôle.

— Maudit sois-tu ! hurla-t-il. Maudit sois-tu ! Il y eut un éclair orange et blanc, puis l’énergie se dissipa dans le sol, en un clin d’œil.

An’desha se laissa tomber sur la paillasse, roulé en boule comme s’il était épuisé. Son visage blême exprimait une profonde douleur.

— Maudit sois-tu, répéta-t-il.

Karal se laissa tomber à genoux près de lui, craignant de l’avoir poussé à se brûler lui-même.

— Maudit sois-tu, prêtre, tu as raison. An’desha leva un regard penaud quand Karal lui toucha l’épaule.

— Vous m’avez dorloté, et je me suis montré incroyablement égoïste.

Karal sourit.

An’desha le regarda, surpris.

— Oui, j’ai raison. Je t’avais dit que tu te sous-estimais. Ça n’est pas parce que tu détiens les souvenirs de Fléaufaucon ou de Ma’ar que tu partages leurs mauvais penchants. Tu pensais, si tu perdais le contrôle de tes émotions, que tu perdrais absolument tout contrôle. Eh bien… Tu t’es mis en colère, non ? Tu craignais d’apprendre ce que contiennent tes souvenirs, de peur d’utiliser ce savoir si tu cédais à la colère.

« Tu viens de te mettre en colère contre moi, et tu es toujours là, après n’avoir rien fait de plus que me maudire… Et je suis toujours là aussi, indemne. Fléaufaucon m’aurait fait traverser un mur, ou incinéré sur place. Toi, tu es assis là, de nouveau maître de toi, je me trompe ?

An’desha le regardait, les yeux ronds.

— Tu veux dire… tout ça était fait pour me prouver… (Il s’empourpra de nouveau.) Je devrais… je devrais…

Karal leva un sourcil.

— Pourquoi te retiens-tu, Adepte ?

— Tu ne vaux pas la peine que je fasse cet effort, prêtre, répondit An’desha, un sourire au fond des yeux. Et ma satisfaction personnelle ne mérite pas que j’attire sur moi les foudres de ton dieu vengeur. Maudit sois-tu ! Pourquoi faut-il toujours que tu aies raison ?

— Ce n’est pas ma faute ! protesta Karal. Je n’y peux rien !

— Foutaises ! répondit le jeune mage, lui flanquant un petit coup de poing sur l’épaule. Tu adores ça, et tu le sais ! Un de ces jours, tu auras tort, et j’espère être là pour le voir ! (Il souriait vraiment, maintenant.) J’ai tellement hâte !

— Moi aussi !

Et c’était la vérité…

Un instant plus tard, Flammechant écarta le rabat. Il les regarda tour à tour, et son beau visage s’éclaira.

Karal se sentit obligé d’être présent au côté de Flammechant quand An’desha décida de se plonger dans les souvenirs de Ma’ar. Allongé sur le dos, le jeune mage entra en transe. Ils le veillèrent et attendirent, se demandant s’ils n’avaient pas commis une erreur en le poussant à faire ça. Flammechant ne s’attendait pas à ce que cela dure plus d’une heure ou deux. Pourtant, l’après-midi s’écoula, puis une partie de la soirée, sans qu’il n’y ait de changement.

— C’est dangereux ? demanda Karal à l’Adepte, qui revenait prendre sa place près de son amant après avoir allumé des lampes magiques.

— Non… pas encore, en tout cas, répondit Flammechant, d’un ton suffisamment indécis pour déplaire au novice. JJ m’est arrivé de rester en transe deux ou trois jours.

Au cours de ces transes, vous ne poursuiviez pas les souvenirs d’un sadique avide de pouvoir, pensa Karal.

Mais puisque ça n’avait pas encore mal tourné, il était inutile de chercher des ennuis.

Il aurait aimé qu’Altra soit là… Le Chat de Feu avait attendu de voir qu’il avait survécu à la colère d’An’desha, puis il s’était volatilisé sans donner d’explication. Karal aurait pourtant apprécié ses lumières. Si Solaris ne faisait pas exception, les Fils du Soleil étaient familiers des transes et de leurs effets.

Un mouvement ramena son attention sur An’desha. Ses paupières avaient-elles frémi ? S’ils avaient veillé à la lueur tremblotante des chandelles, Karal aurait pu croire à un jeu d’ombres. Mais les lampes magiques émettaient une lumière aussi stable que celle du soleil. Oui ! Les paupières d’An’desha papillonnèrent, comme celles d’un dormeur qui se réveille…

Le jeune mage ouvrit les yeux. Flammechant lui versa une tasse de thé, l’aida à s’asseoir et la lui tendit. An’desha referma dessus ses mains tremblantes et but en une seule longue gorgée.

— Il est tard ? demanda-t-il en tendant la tasse à Karal, qui la remplit.

— Près de minuit, répondit Flammechant. An’desha hocha la tête. Karal fut soulagé de constater qu’il n’y avait rien, dans les manières et l’expression de son ami, qui ne lui soit pas familier.

— J’ai découvert que nous avons travaillé sur la base d’une idée fausse, dit enfin An’desha. Avant de mourir, Ma’ar dut faire face au genre de situation que nous connaissons aujourd’hui, bien que la destruction initiale ait visé un seul Portail et tous les sorts alentours. Rien à voir avec le cataclysme qui survint plus tard.

Flammechant acquiesça, de l’excitation dans les yeux.

Karal se pencha en avant.

— Alors, que fit-il ?

An’desha but son thé avant de répondre.

— L’important n’est pas tant ce qu’il fit que ce que fit son ennemi. Ma’ar se fichait des effets qu’avaient les vagues hors de son domaine. Il se contenta de construire le bouclier dont nous avons toujours pensé avoir besoin. (Il secoua la tête.) Mais ce serait une terrible erreur ! Un mur-boucher réfléchirait les effets des vagues. Ainsi renvoyées, elles ont des effets encore plus dévastateurs que les originales !

Karal se renfonça dans son siège et revit, en mémoire, la maquette que les ingénieurs avaient construite. Un grand bassin au fond duquel était posée une miniature de Valdemar et des pays alentours. Il pensa aux expériences qu’avait conduites maître Levy, faisant tomber des pierres aux emplacements du lac Evendim et des Plaines de Dhorisha pour déterminer les interactions des vagues.

Quand elles atteignaient les bords du bassin, l’expérience était terminée, parce qu’elles repartaient de là pour créer des figures qui n’avaient plus rien à voir avec les cercles qu’il étudie.

— Je vois, dit-il. Mais…

— C’est ce que fit l’ennemi de Ma’ar qui est intéressant…, coupa An’desha. Au lieu d’utiliser un mur-bouclier plat, il créa un brise-lames comme celui dont nous a parlé maître Norten. Non seulement il arrêta les vagues, mais il absorba leur énergie.

« Ma’ar l’étudia et comprit son fonctionnement, mais il ne le reproduisit pas, jugeant que c’était une perte de temps et de ressources. Puisqu’il savait comment le reproduire, je le sais aussi ! Qui plus est, je sais aussi comment générer son mur-bouclier.

« Si nous combinons les deux… nous pourrons absorber les vagues qui déferlent sur nous et réfléchir les autres vers l’Empire.

Flammechant sursauta et Karal se rassit sur les talons.

— Je ne suis pas sûr que nous devions faire ça, dit-il, troublé. L’Empire le mérite-t-il ?

Flammechant lui jeta un regard incrédule.

— C’est vous qui dites ça, après ce qu’ils vous ont fait ?

Karal secoua la tête.

— Ils ne m’ont rien fait. Deux ou trois personnes seulement sont responsables. Célandine, qui a eu ce qu’il méritait. Le grand duc Tremane, qui que ça puisse être. Et peut-être l’empereur. L’Empire est vaste et composé de peuples qui ignorent souvent l’existence de Karse.

Il soupira.

— Flammechant, ne commettez pas l’erreur que nous avons faite au sujet de Valdemar. Ne transformez pas l’Empire en un troupeau d’ennemis sans visage que vous rendez responsables de ce que fait ou ne fait pas leur chef. Il y a des milliers d’innocents dans l’Empire. Ils ne méritent pas que leurs poules deviennent des carnivores dévoreurs d’enfants parce que quelques personnes nous ont causé du tort.

L’Adepte haussa les épaules, mais son regard troublé prouva à Karal qu’il l’avait écouté.

— Et ne commettez pas une autre erreur, continua-t-il. Ne présumez pas qu’un chef, parce qu’il a donné un ordre, connaît ses conséquences. A moins qu’il ne s’agisse d’un Héraut ou de Solaris, qui a un… (il eut un pauvre sourire en voyant Altra arriver à cet instant)… une conscience à quatre pattes qui fourre son nez partout, un chef n’est qu’un être humain qui oublie souvent de réfléchir avant d’agir.

Oh ? fit Altra, sarcastique. Quel beau discours ! Comme ça, je fourre mon nez partout, hein ?

Karal le gratta derrière les oreilles. Même s’il n’était pas un simple chat, Altra se soumettait volontiers à cette caresse.

— Tout ça est bien beau, mais nous devons quand même faire quelque chose, non ? dit An’desha, pragmatique. Dès que je serai de nouveau capable de penser clairement, nous rassemblerons les mages. Comme ça, je n’aurai pas besoin de me répéter.

— Devrai-je également prévenir maître Levy et maître Norten ? demanda Karal.

An’desha réfléchit un instant.

— Oui, je crois, répondit-il. Ils seront peut-être capables de déterminer les points clés où nous devrons bâtir nos défenses pour qu’elles soient le plus efficace. Leurs formules pourraient nous être d’un grand secours.

Karal s’aperçut qu’An’desha s’exprimait différemment. Ça n’était pas évident, et il ne disait rien qu’il n’aurait jamais pu dire avant… Non, c’était sa manière de se comporter qui avait changé.

Il… Par le Dieu du Soleil, il parle comme un adulte, et plus comme un enfant ! Il s’exprime – et il agit – comme quelqu’un de son âge !

Karal ne dit rien, mais cette transformation le réjouit. De son point de vue, c’était une excellente chose.

On peut se demander ce que Flammechant fera d’un An’desha indépendant, dit Altra, comme s’il se parlait à lui-même.

Sa réflexion fit écho aux pensées de Karal.

Mais personne ne pouvait rien y faire… Flammechant devrait s’en accommoder. Parce que le jeune homme doutait que le changement survenu chez An’desha soit temporaire. Il faudrait laisser à l’Adepte le temps de s’apercevoir de la différence, et de s’y habituer.

Ou pas, dit Altra.

Karal lui flanqua un « coup de pied » mental. Une fois de temps en temps, il aurait aimé avoir un peu d’intimité.

— Je vais aller prévenir les autres que nous organisons une réunion demain matin, dit Karal en se levant. Je ne reviendrai pas avant de les avoir tous trouvés, alors ne m’attendez pas.

Il sortit et descendit sans leur laisser une occasion de répondre. Mais était-ce son imagination, ou entendit-il vraiment An’desha lancer : « Tu peux compter là-dessus. »

Et glousser ?

Au milieu de la matinée, les mathématiciens eurent réussi à ramener les points clés « nécessaires » à un nombre raisonnable. Il y aurait trois sites « essentiels » de blocage, et plusieurs autres, de moindre importance. Ces derniers pourraient être tenus par des maîtres, et ils étaient tous à quelques jours de cheval de Haven.

— Nous avons assez de mages ici, entre les nôtres et les ambassadeurs, pour assurer tous les points mineurs, dit Elspeth en parcourant une liste du regard. Ça ne devrait pas poser de problème.

— Mais ici, ici, et ici… (An’desha montra du doigt trois points sur la carte – au nord, au cœur de la Forêt des Soupirs, au sud, à la frontière karsite, et à l’est, à l’endroit où se croisaient les frontières d’Hardorn, Iftel et Valdemar.) Les trois principaux sont problématiques. Au premier stade, les brise-lames requièrent l’énergie d’une vague pour les stabiliser et les rendre autosuffisants.

« Pour les créer, les relier et les maintenir jusqu’à l’arrivée de la vague, il faudra deux Adeptes, ou un Adepte et deux Maîtres. (Il étudia la carte, et posa l’index sur le troisième point.) Celui-là sera le plus facile, mais aussi le plus vulnérable, car il est comme la clé de voûte d’un édifice. Le créer demandera moins de pouvoir, mais plus d’habileté. Et les mages devront être sur place pour construire le brise-lames et le relier aux autres.

— Nous n’avons que quatre Adeptes, fit gentiment remarquer Elspeth. Et seulement quelques jours devant nous pour les mettre en position, avant que la prochaine vague ne nous balaye…

— Nous avons deux Adeptes, dit An’desha, un Adepte Guérisseur et… moi.

Flammechant se tourna vers lui, écarquillant les yeux. Il apparut clairement à Karal qu’il ne savait pas de quoi parlait son compagnon.

— Autrement dit, un Adepte Sorcier, précisa An’desha. Le genre de mage capable de créer des êtres vivants. Tout le savoir de Ma’ar est mien, désormais. Je peux construire ces brise-lames parce que je l’ai déjà fait – en un sens ! Je travaillerai avec deux Maîtres. Et je ne suis pas forcé de faire équipe avec Flammechant.

Celui-ci pâlit, mais ne dit rien. La bouche d’Elspeth s’arrondit. Elle baissa la tête pour cacher sa réaction.

— Bien, dit-elle, regardant sa liste. Voyons comment nous allons positionner les Adeptes. (Elle mordilla le bout de sa plume.) Pour des raisons évidentes, du moins pour certains d’entre nous, je pense que Flammechant et moi devrions aller au nord. Nous pouvons nous y rendre par un Portail…

— On nous y aidera sans doute, marmonna Flammechant.

La bouche d’Elspeth frémit. Karal n’eut pas la moindre idée de ce que l’Adepte Guérisseur avait voulu dire. Sans doute était-ce une plaisanterie entre eux.

— Hydona et moi sommes des Maîtres, dit Treyvan. Ventnoir ouvrira un Portail pour nous rapprocher au maximum de notre objectif, et nous le transporterons ensuite dans la nacelle. Nous l’avons déjà fait. Alors, le sud ou l’est ?

Vous irez au sud.

Tout le monde leva la tête en entendant la voix mentale impérieuse. Altra sauta au milieu du groupe et atterrit pile sur le point clé situé à l’est. Le Chat de Feu prit la pose comme une statue. Il avait dans la gueule un parchemin roulé et scellé. A l’exception de Karal, de Flammechant et d’An’desha, les autres poussèrent des petits cris surpris en voyant l’animal tel qu’il était vraiment.

Les griffons et vous irez au sud, Ventnoir, répéta Altra. Pour des raisons qu’il ne m’est pas encore permis de révéler, Karal et moi accompagnerons An’desha à l’est.

— Karal et vous ? fit Elspeth, incrédule. Mais Karal n’est pas un mage ! Ce n’est même pas un véritable ambassadeur !

Il l’est maintenant, répondit le Chat de Feu en laissant tomber sur la table le document qu’il portait. Solaris en a décidé ainsi. Karal remplacera Ulrich. Il est désormais un prêtre du Soleil à part entière. Mais surtout, Ulrich avait découvert qu’il est un canal magique. Je suis un mage. Karal, un Compagnon et moi irons avec An’desha.

Altra croisa le regard de la princesse, qui finit par baisser les yeux.

— C’est donc comme ça qu’Ulrich obtenait miraculeusement tous ces documents ! s’écria le prince Daren.

Altra lui jeta un regard approbateur.

— Attendez un peu. Vous avez parlé d’un Compagnon, dit Elspeth. Quel Héraut sera de l’aventure ?

Il n’y a pas de Héraut. Florian est dépourvu de partenaire. Lui aussi est un mage. Comme moi, il utilisera Karal pour canaliser l’énergie. Même si nous n’utilisons pas la magie de la même manière que les humains, nous sommes des mages, et nous pouvons jouer le rôle de Maîtres, avec Karal comme canal.

Elspeth le regarda, incrédule.

— C’est impossible ! Vous violez toutes les règles !

Et qui les a faites ? riposta le Chat de Feu. Karal s’éclaircit la gorge.

— Je vous présente Altra, dit-il. Nous l’appelons un Chat de Feu. C’est une sorte d’Avatar. J’ignore si vous le savez, mais quatre projectiles impériaux ont été lancés sur Ulrich et sur moi. Altra en a détruit deux et dévié un troisième.

Tous connaissaient la rapidité des armes impériales. Ils regardèrent Altra avec un respect grandissant.

— A Karse, nous considérons qu’il est sage de ne pas contredire un Chat de Feu, conclut Karal, alors que le silence s’éternisait. Ils agissent souvent sur ordres.

Comme je le fais maintenant, confirma Altra. J’ai des raisons d’avoir parlé ainsi, même si elles ne vous concernent pas encore, et ne vous concerneront peut-être jamais. L’avenir est fluctuant et sujet à des changements.

Tu n’as jamais été si mystérieux et agaçant, pensa Karal à l’intention du Chat de Feu.

Altra tourna imperceptiblement la tête vers lui et lui fit un clin d’œil.

Elspeth n’était visiblement pas contente.

— Ecoutez… Avatar ou pas, je refuse de me laisser manipuler comme un pion sur un…

Elle ne termina pas sa phrase, car Altra se tourna vers elle.

Je comprends, dit-il avec une gentillesse surprenante. Croyez-moi, dame Elspeth ! Ce qu’on m’a ordonné de vous dire ne vise pas à vous manipuler… mais à vous accorder, au contraire, le loisir d’utiliser votre libre arbitre.

Il soupira. Tous eurent l’impression qu’il portait un lourd et triste fardeau.

Ni moi, ni Solaris, ni Vkandis ne connaissons l’avenir. Ulrich aurait dû être là. C’était un Adepte, même s’il ne s’en vantait pas. C’est lui qui aurait dû accompagner les griffons dans l’est. Elspeth et Ventnoir seraient allés ensemble dans le sud, et Flammechant et An’desha au nord.

La configuration actuelle n’est pas optimale. Florian et moi devons apporter notre contribution – vous n’avez pas assez de Maîtres pour couvrir tous les points mineurs et en envoyer deux avec An’desha.

De plus, il y a autre chose à considérer. Karal est le substitut le plus acceptable pour le… gardien… qui sera satisfait uniquement par une présence qu’il reconnaîtra. Je ne suis pas encore autorisé à vous dire pourquoi. Mais soyez assurés que je le ferai dès que j’en aurais reçu l’autorisation… Si vous n’avez pas deviné tout seuls.

— Le gardien, murmura Elspeth pour elle-même, puis elle baissa les yeux sur l’arrière-train du Chat de Feu – ou plutôt sur la zone de la carte qu’il recouvrait. Dieux ! s’exclama-t-elle. Iftel !

Altra inclina la tête.

Précisément… Vérifiez les calculs de maître Levy. Vous découvrirez que le point clé est à l’endroit exact où Hardorn, Valdemar et Iftel se rejoignent. A cause des mages disponibles, ce point exige une certaine diplomatie, en ce qui concerne le gardien. Après tout, vous pratiquerez une Grande Magie qui se fondra avec la frontière d’Iftel. Le gardien devra être rassuré et il voudra être certain que cela ne fera aucun mal à son pays.

A l’origine, ce point clé devait être assuré par deux Adeptes, ou par Ulrich et les griffons. Aujourd’hui, il demande quatre intervenants. Deux travailleront en Valdemar…

— Florian, bien sûr, dit Elspeth. Et An’desha ? Oui… et les deux autres en Iftel. Il doit s’agir de Karal et de moi. Le gardien ne reconnaîtrait pas les Prêtres-Mages de Vkandis présents à Valdemar. Bien qu’il s’agisse d’hommes et de femmes honnêtes et bons, ce sont d’abord des mages et ensuite des prêtres. Talia…

Le Chat marqua une pause.

Si Karal avait été tué avec Ulrich, Talia aurait peut-être pu le remplacer. Mais dans la situation actuelle, je refuse de prendre le moindre risque.

Il faut que ce soit Karal. Il est le seul, en dehors de moi, à qui le gardien laissera passer la frontière. Et puisqu’il n’est pas un mage, mais un canal, il peut soutenir An’desha, avec l’aide de Florian et la mienne.

— Tout ça commence à ressembler à un rituel religieux, dit le prince Daren en riant tout bas.

Son rire mourut quand Altra tourna vers lui son regard bleu.

Vous n’avez pas tout à fait tort ! Les circonstances sont extraordinaires. Si Karal était mort avec Ulrich… (Il marqua de nouveau une pause.)… Solaris en personne serait avec vous en ce moment. C’est dire si la situation est grave.

— Oh, non ! s’écria Elspeth. Non, non, non ! Talia m’a parlé de Solaris, et je refuse d’envisager cette possibilité.

Altra haussa les épaules, même si le corps d’un chat n’était pas fait pour ce genre de mouvement.

Pensez-y. Si vous aviez su comment construire ces brise-lames avant la dernière vague, le point clé aurait concerné uniquement Hardorn et Valdemar. Et si vous attendez que la prochaine soit passée, il ne concernera plus que Valdemar et Iftel. Mais vous aurez toujours besoin de Karal, donc de Florian et de moi. (Il haussa de nouveau les épaules.) C’est ainsi. Il ne s’agit pas d’une affaire d’héroïsme ou de Grande Destinée, si cela peut vous réconforter…

— Les grandes destinées impliquent généralement de grandes funérailles, souffla Elspeth, comme si elle citait quelqu’un. Très bien. Dans ce cas, j’accepte. Merci d’avoir pris le temps de tout nous expliquer.

Eh bien, répondit Altra en se levant pour gagner le bord de la table, vous détestez être manipulée. C’est un fait établi. Légendaire, même ! Si je ne m’étais pas expliqué, vous auriez peut-être trouvé un moyen de contourner mes ordres. Et ç’aurait été un désastre pour nous tous.

— J’ai l’impression qu’il te connaît bien, murmura le prince Daren à sa belle-fille.

Elspeth rougit.

— Les chats, grommela-t-elle. Ils savent toujours tout. Mais pourquoi ne revenons-nous pas à nos moutons ?

— Je me fiche de ce qu’est ce chat et de ce qu’il dit ! cria Flammechant. Je n’aime pas l’idée que tu tiennes seul un point clé !

An’desha bloqua la réaction devenue pour lui une seconde nature – à savoir s’en remettre entièrement à Flammechant.

Nous ne pouvons pas nous permettre une dispute, pensa-t-il, terriblement conscient du peu de temps qu’ils avaient devant eux.

Altra avait parlé d’« attendre la prochaine vague », mais maître Levy et lui savaient que ce serait une très mauvaise idée, car certains points d’intersections se trouveraient dans des zones habitées.

Il savait, même s’il était le seul, qu’il y avait des humains à ces endroits… et qu’il ne serait pas possible de les avertir tous.

— Je n’aime pas ça plus que toi, ke’chara, répondit-il. En vérité, je suis terrifié. Je préférerais que ce soit toi, et pas moi. Karal n’a jamais servi de canal. Même si Altra le prépare, ce sera une expérience totalement nouvelle pour lui.

« Et je n’aime pas non plus te savoir sur le point le plus dangereux ! Elspeth est peut-être une Adepte, mais elle n’utilise pas ses pouvoirs depuis très longtemps. J’aurais préféré que tu aies quelqu’un de plus expérimenté avec toi.

— Tu n’es pas plus expérimenté… (Flammechant toussota.) Bien sûr… Tu as beaucoup d’expérience de seconde main, n’est-ce pas ?

Ainsi, l’Adepte ne s’était pas laissé détourner de son propos initial par l’inquiétude d’An’desha. Au moins, j’aurai essayé…

— C’est toi qui m’as poussé à affronter ces souvenirs, et tu as eu raison de le faire.

— Vas-y, jette-moi mes propres paroles à la figure ! Maintenant que tu as toutes ces expériences à ta portée, je ne t’intéresse sans doute plus ! Dois-je m’attendre à rester sur le bord de la route, comme toutes les choses dont tu n’as plus besoin ?

Il continua ainsi un moment. Heureusement que Talia et Karal, ayant vu venir le coup, avaient prévenu An’desha. Il se serait senti profondément blessé s’il n’avait pas su ce qui se cachait derrière cet éclat.

Pour la première fois de son existence, Flammechant était jaloux et il avait peur… Peur qu’An’desha l’abandonne. Il pouvait le faire, désormais, n’étant plus ni effrayé ni dépendant. Ayant toujours été courtisé, Flammechant ne s’était jamais retrouvé dans la position inverse, et il n’avait aucune idée de ce qu’il devait faire.

Flammechant avait également peur pour An’desha. Substituer deux Maîtres et un canal à un Adepte était assez dangereux pour que le Shin’a’in en ait les cheveux qui se dressent sur la tête. Seule sa confiance en Karal lui faisait accepter cette solution.

Karal préférerait brûler sur place que flancher, pensa-t-il, laissant Flammechant poursuivre son monologue. // a changé, lui aussi.

Il savait que Flammechant voulait le bouleverser au point qu’il lui cède et le supplie de trouver une autre solution. Mais il avait passé trop de temps en compagnie de Karal.

J’ignorais que le sens des responsabilités se communiquait.

— Tu m’écoutes, au moins ? cria désespérément l’Adepte. Tu te fiches de ce que je dis et de ce que je traverse ?

— Non, répondit An’desha. (Il prit la main de Flammechant.) J’ai même écouté ce que tu ne m’as pas dit. Tu as peur pour moi et tu penses que je suis en danger. Tu as également peur que je te quitte. Que je ne t’aime plus ! Tu as raison, en ce qui concerne le danger, mais tort pour le reste.

La main du mage se raidit dans la sienne. Ses yeux argentés le supplièrent de lui accorder quelque chose qu’il pourrait garder tout au fond de lui.

— Je suis en danger, nous le sommes tous. Si nous ne faisons rien, ton peuple, le mien, et tous nos amis pourraient mourir. (Il espéra que son regard disait à Flammechant que c’était la vérité toute crue.) Si nous essayons de changer le plan…

Il soupira.

— J’avoue ignorer quelle différence ça ferait… Altra jure que c’est comme ça que nous utiliserons nos pouvoirs de façon optimale, et que tout changement vouerait notre entreprise à l’échec. Malgré toute mon « expérience », je ne peux pas te dire s’il a raison ou tort… mais je suis prêt à lui faire confiance.

Flammechant hocha la tête à contrecœur.

— Je ne t’abandonnerai pas. (An’desha prononça ces mots avec tant de force que Flammechant tressaillit.) Je ne suis pas fatigué de toi, et je ne te considère pas non plus comme un inférieur. (Il s’autorisa un sourire.) En fait, tu m’es supérieur dans bien des domaines.

An’desha serra très fort la main de Flammechant.

— Je n’avais encore jamais dit ça en utilisant de mots, ashke, mais je crois qu’il était temps que tu l’entendes.

Pour l’emporter avec toi…

— Je t’aime, souffla-t-il de tout son cœur, de toute son âme, de tout son corps.

Il n’était pas sûr que ce serait suffisant.

Mais la vérité l’était souvent.

Elle le fut cette fois encore.

Ils formaient un groupe étrange. Altra à côté de Florian, An’desha dans son costume tayledras flamboyant, et Karal en noir. Karal tenait Trenor par la bride. Dès qu’ils auraient franchi le Portail, An’desha devrait monter Florian, car il ne serait plus en état d’utiliser un cheval normal.

Ensuite, il leur resterait deux jours de voyage, entre l’endroit que connaissait An’desha – celui où les autres et lui avaient atterri, après leur fuite d’Hardorn – et la croisée des frontières. Chaque groupe avait autant de chemin à faire pour rejoindre son point clé. Et le premier jour, le mage qui aurait ouvert le Portail ne serait bon à rien.

Flammechant et Elspeth étaient partis les premiers, puis ç’avait été au tour de Ventnoir et des griffons. Maintenant, c’était celui d’An’desha.

Il se tourna vers Karal, comme pour lui dire quelque chose, puis regarda l’arche de pierre, dans la salle d’entraînement, qui leur servirait à tous de terminus.

Karal avait entendu parler des Portails, mais il n’en avait jamais vu. Après avoir regardé An’desha, il pensa qu’il serait bien content de ne jamais plus assister à ce spectacle.

En lui-même, le Portail n’était pas si horrible. Il était même plutôt beau, malgré le vide béant qui occupait maintenant la place du bureau de Kerowyn. Non, l’horreur, c’était de penser qu’il était composé de l’énergie d’An’desha. Le jeune homme n’était plus que l’ombre de lui-même, sa création se nourrissant de son essence, tel un splendide parasite. Karal se demanda comment un être vivant pouvait accepter d’en ouvrir un, sachant cela.

Soudain, l’obscurité béante, à l’intérieur de l’arche, devint l’image d’un endroit où la forêt avait recouvert les ruines d’une ferme.

— Allez-y, dit An’desha d’une voix étranglée.

Altra s’empressa d’obéir. Karal tourna Trenor vers le Portail, mais le hongre refusa de bouger.

Karal allait sauter à terre quand il jeta un coup d’œil à An’desha. Il était livide. Maintenir le Portail ouvert lui coûtait. S’excusant silencieusement, il talonna sa monture.

Il ne portait pas d’éperon. Mais sous l’effet de la surprise, le cheval réagit comme si c’était le cas.

Hennissant frénétiquement, il franchit le seuil.

On eût dit que le sol venait de se dérober sous eux. Une fraction de seconde, Karal pensa qu’il tombait, que leur univers s’était désintégré et qu’il était aveugle, sourd et pétrifié.

Puis ils arrivèrent de l’autre côté. Karal fît volter Trenor dès qu’ils eurent dégagé le chemin. A ce bout-là, le Portail était une étable de pierre, dont seuls un mur et la porte restaient debout. Un instant plus tard, Florian et An’desha arrivèrent au galop, et la salle d’entraînement du Palais disparut.

An’desha chancelait sur sa selle. Quelqu’un avait pensé à l’attacher pour qu’il ne tombe pas. Il serrait le pommeau à deux mains, laissant la bride sur le cou de Florian. Son visage avait pris la couleur de l’albâtre. Il ouvrit lentement les yeux quand Karal amena Trenor près de lui.

— Je ne veux plus jamais utiliser un Portail ! dit Karal, avec une telle intensité qu’An’desha se redressa, surpris. Plus question de te soumettre à ce genre d’épreuve !

— La prochaine fois, ce ne sera pas si terrible, répondit le jeune mage. Je te le promets. Nous ferons plusieurs étapes, étalées sur des jours.

— Il n’y aura pas de prochaine fois ! affirma le Karsite. (Il regarda le Compagnon.) Florian, peut-il chevaucher ?

Même s’il ne l’était pas, je suis capable de le porter. C’est pour ça qu’il est attaché à la selle. Nous n’avons pas le choix. Le temps presse.

— Alors, nous ferions bien de nous dépêcher. (Il fit reculer Trenor pour laisser passer Florian, qui n’avait pas besoin d’une carte pour les guider.) Si tu veux bien prendre la tête.

Karal retint Trenor et Altra sauta sur la plateforme rembourrée installée derrière le cavalier. Rris les avait assurés que son célèbre cousin Warrl avait souvent voyagé ainsi, derrière la guerrière shin’a’in Tarma shena Tale’sedrin. Le Chat de Feu n’avait soulevé aucune objection. Pourtant, Trenor avait essayé de ruer la première fois qu’il lui avait sauté sur le dos.

Florian s’enfonça dans les bois. S’il suivait une piste, Karal ne voyait rien.

Mais je ne suis pas un forestier…

Il devait y avoir une piste, car Florian se frayait sans la moindre difficulté un chemin entre les buissons et les plantes. Le Compagnon avait adopté une allure assez rapide.

Pauvre Trenor. A ce rythme, il sera l’ombre de lui-même à l’arrivée.

Mais ils n’avaient pas le choix. Chaque heure qui passait les rapprochait de la vague à venir… et Natoli lui avait confié qu’il y avait plusieurs petits villages à des points d’intersection. Ceux qui se trouvaient sur le territoire de Valdemar avaient été évacués, bien sûr… Mais ailleurs ?

Ils devaient arrêter cette vague. Pour ça, il fallait être en position à temps.

Quand nous avons fait tout ce que nous pouvons, il est temps d’y ajouter nos prières. Un des proverbes préférés d’Ulrich… Eh bien, ils avaient fait tout ce qu’ils pouvaient. Karal ferma les yeux, se fiant à Trenor pour suivre Florian, et commença à prier.

Chaque fois que Karal sentait que son cheval était fatigué, ils s’arrêtaient pour se reposer, boire et manger. Ils chevauchèrent ainsi toute la nuit, et tout le jour suivant. La région qu’ils traversaient, désolée, était semée de fermes en ruine abandonnées aux mauvaises herbes. Karal n’eut pas très envie de demander ce qui s’était passé. Il sentait que cela avait un rapport avec la guerre contre Hardorn. Le peu qu’An’desha lui avait dit au sujet d’Ancar ne l’encourageait pas à en savoir plus.

Vite, vite, vite. Il ne reste plus beaucoup de temps.

Bizarrement, la vie sauvage aussi semblait avoir déserté les lieux. Les quelques oiseaux qu’il aperçut étaient silencieux. Même si l’hiver approchait, le givre faisant déjà crisser la végétation rare et desséchée, il aurait dû y avoir des bruits nocturnes : le cri d’une chouette, le glapissement d’un renard ou le hurlement d’un loup. Mais les seuls bruits audibles étaient ceux de leurs chevaux, et ce silence suffisait à faire dresser les cheveux sur la tête de Karal. An’desha dormait en selle depuis qu’ils avaient franchi le Portail. Altra n’était pas d’humeur à converser. Et Florian se concentrait sur la route. Karal n’avait donc rien de mieux à faire que s’inquiéter et prier.

Quand l’aube vint, jetant une lumière grisâtre sur le paysage, cela ne fit rien pour améliorer son humeur. Trenor se fatiguait de plus en plus vite. Karal détestait devoir le pousser ainsi, mais il savait ne pas avoir le choix. Ils devaient être en place au plus tard deux heures après l’aube, le lendemain.

Peu avant le lever du soleil, An’desha se secoua et regarda autour de lui.

— Je me rappelle, dit-il. Ancar a jadis dominé ces terres, et il les a vidées de leur essence. La nature a admirablement repris le dessus.

— Hein ? fit Karal, incrédule. Tu trouves ?

— Tu ne les as pas vues avant… Plus rien n’y poussait. Rien ! L’an prochain, tout devrait être rentré dans l’ordre.

D’autres souvenirs assombrirent son regard.

— Ma’ar laissait derrière lui des terres aussi désolées que celles-là, dit-il. Le plus terrible, c’est qu’il pensait bien faire en les créant.

— Parce qu’il avait un but ? demanda Karal. An’desha acquiesça.

— Il a fait de son peuple une grande et puissante nation. Mais pour y arriver, il vida de leur énergie des pays qui gardent encore les cicatrices de ses guerres. A ses yeux, rien ne comptait sinon lui-même et son peuple… Il a commis d’horribles choses au nom du patriotisme, pensant qu’il avait raison. Je n’aime pas Ma’ar, mais je le comprends. Peut-être même un peu trop bien.

Karal devina que son ami était encore torturé par le doute.

— Comprendre une erreur, c’est ne pas être tenté de la refaire. Il m’étonnerait que Ma’ar se soit jamais compris lui-même !

An’desha éclata de rire.

— Tu as raison ! Voilà que tu arraches encore mes problèmes avant qu’ils ne prennent racine en moi.

« A quelle distance sommes-nous du point clé ?

A une journée, si rien ne vient nous retarder, répondit Florian.

… Juste avant qu’ils n’atteignent le sommet de la colline et découvrent une gorge de plusieurs centaines de pieds de profondeur. Au fond coulait une rivière écumante.

Ce ne devrait pas être là ! s’écria Florian.

Ils baissèrent les yeux et regardèrent le cours d’eau au courant si puissant qu’il aurait été suicidaire d’essayer de le traverser. Seul Trenor resta impassible, broutant les rares touffes d’herbe à sa portée.

Et voilà, à point nommé, la cause de notre retard, lâcha Altra.

— Pas nécessairement, dit Karal. Il doit y avoir un pont. Allons-nous en amont ou en aval ?

— En amont, je crois, répondit An’desha après réflexion. Ça nous conduira plus près de la frontière d’Iftel.

Ils trouvèrent un pont – une passerelle étroite et branlante faite de rondins et de planches mal dégrossies. Après qu’Altra s’y fut risqué le premier, Karal dut mettre un bandeau à Trenor pour le faire traverser. Mais cela les mit très en retard. Ils atteignirent le point clé peu avant l’aube. Karal s’était demandé comment ils sauraient faire la différence entre le côté valdemarien et le côté iftelien. Alors que le soleil se levait, la réponse lui sembla évidente.

— Que… qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en écarquillant les yeux devant le mur de lumière tremblotante qui courait au sommet de la colline et s’étendait de part et d’autre à perte de vue.

Il ne pouvait pas voir par-dessus. Quoi que ce fût, ce n’était pas de l’air. Pas de l’eau non plus, même si cela semblait couler et frémir comme la surface d’une rivière caressée par le vent. Plissant les yeux, Karal vit des taches sombres vertes et gris brun. Sans doute des arbres et des buissons.

C’est la frontière, dit Florian. Ça n’a pas toujours été comme ça. Avant la guerre contre Ancar, elle n’était pas différente de celle qui sépare Valdemar de Rethwellan. Mais quand Ancar tenta de la faire franchir à son armée, ce « mur » se dressa devant lui. Tous ceux qui essayèrent de passer furent forcés de faire demi-tour. Et ceux qui voulurent l’attaquer avec la magie moururent.

J’ai entendu dire que certains marchands sont autorisés à traverser. Mais ils deviennent muets dès qu’il est question de ce qu’ils ont vu à Iftel.

— Je croyais qu’Iftel avait un ambassadeur à la cour de Valdemar, dit An’desha.

A une époque, il y a bien longtemps… Plus maintenant. (Florian eut un soupir.) Il est de tradition de garder une suite prête pour leurs représentants, mais personne ne l’a occupée de mémoire d’homme.

Karal blêmit.

De l’énergie pure. Une force brute. Et je suis censé traverser, alors que tous ceux qui ont essayé sont morts !

Pire encore, il devait le faire maintenant ! Il n’avait pas plus d’une heure avant que la vague ne déferle sur eux.

— Allez, dit-il, les mains glacées. Il faut avancer. Il n’y a pas de temps à perdre !

Donnant l’exemple, il lança le pauvre Trenor au trot, descendit dans la vallée couverte de hautes herbes puis gravit la colline. Le mur se dressait devant lui. Karal sentit qu’An’desha et Florian le rattrapaient, mais la puissance brute à laquelle il faisait face les chassa de ses pensées.

Il n’avait pas le temps d’étudier le phénomène, ni celui de décider de la meilleure approche possible. Il continua donc… espérant être épargné.

Un goût métallique dans la bouche, il talonna Trenor et ferma les yeux…

… Il les rouvrit au moment où ils atteignaient le mur.

Qui les saisit et les retint.

[Que… ?]

Karal ne pouvait plus bouger ni respirer. Il était enveloppé de lumière. Pourtant il ne voyait pas. Il devait attendre tandis qu’on l’examinait.

[Prêtre ?]

Etait-il un prêtre ? An’desha l’avait appelé ainsi en plaisantant. Solaris l’avait ordonné prêtre, mais ce n’était qu’un expédient. Qu’avait-il accompli pour mériter ce titre ?

[Ah…]

Soudain, l’entité le libéra. Il se retrouva en selle, face à An’desha et à Florian, qu’il voyait à travers un rideau de lumière, plus fin à cet endroit.

Il est vraiment plus fin, confirma Altra. C’est nécessaire, si nous voulons pouvoir travailler avec An’desha et Florian. La vague arrive, Karal. Prends vite ta place. Allez !

Le jeune homme mit pied à terre et se tint debout comme Altra le lui avait appris, les bras levés.

Et maintenant, en transe !

Obéissant, Karal prononça les mots clés et plongea dans une transe légère. Elle n’était pas profonde au point qu’il ne soit pas conscient de ce qui l’entourait, mais assez pour qu’il ne puisse pas bouger. Il n’était pas sûr de ce qui allait se passer après.

An’desha et Altra n’étaient pas entrés dans les détails…

Une fraction de seconde plus tard, il comprit pourquoi ils s’étaient tus. S’ils avaient parlé, il aurait été trop terrifié pour faire ce qu’on attendait de lui.

Un torrent de puissance se déversa dans son corps, venant d’Altra et de Florian. Quelque chose en lui réunit les deux flux et les maintint – même si cela ressemblait étrangement à l’unique occasion où il avait été assez fou pour monter un étalon sauvage. Il ne contrôlait pas cette énergie. Elle lui permettait de la tenir – brièvement !

Puis An’desha se « tendit » vers Karal et le flot, désormais unique, passa en lui.

An’desha fit quelque chose avec cette énergie, mais Karal ne vit pas quoi. Il pouvait cependant le sentir, un peu comme un aveugle devine la présence d’une forteresse près de lui. Fermant les yeux, il se concentra pour que le flux reste régulier. Plus longtemps la puissance lui « permettait » de la tenir, plus il avait de contrôle sur elle. Ce n’était pas facile et il capta quelque chose d’autre. S’il faiblissait, cette force lui ferait des choses terribles. Et s’il y survivait, il regretterait de ne pas être mort.

Soudain, la vague de disruption passa.

Elle était plus forte que toutes les autres combinées.

Le sol se souleva et se cabra comme si le monde allait disparaître dans un formidable tremblement de terre. Il devint aveugle – mais pas comme s’il était plongé dans une obscurité totale. Non. Il n’y avait rien à voir, sinon des tourbillons, des volutes et des cascades de couleurs et de lumières. Il entendait les lumières rugir à ses oreilles et les couleurs avaient des goûts : fer, pierre brûlée, cuivre…

Confusément, il savait qu’Altra et Florian continuaient de déverser de l’énergie en lui. Il la sentait, brûlante et primitive, tout au fond de son corps…

Les lumières se transformèrent en des millions de serpents qui menacèrent de le broyer et les couleurs tentèrent de déferler sur lui jusqu’à ce que tout ait disparu et qu’il se retrouve seul au cœur d’une noirceur infinie dont il savait ne jamais pouvoir sortir…

… Alors, il flancha.

Submergé par la peur, il sentit l’énergie lui échapper.

Je ne peux plus tenir ! pensa-t-il, paniqué. Il m’est impossible de faire ça ! C’est un travail pour une personne comme Ulrich ! Je ne peux pas…

Son contrôle faiblit un peu plus et il sombra dans la confusion.

Je ne sais même plus ce que je suis.

Son cœur cognait contre ses côtes, comme s’il voulait s’échapper de sa poitrine. Il avait besoin d’Ulrich. Il voulait être comme Ulrich…

Alors, du tréfonds de son être, monta un profond sentiment de responsabilité.

Il le faut. Il n’y a personne d’autre.

Karal domina le flot d’énergie qui menaçait de lui échapper. Il ignora la confusion, combattit la panique et tint bon.

Aussi abruptement que ça avait commencé, tout fut fini. Karal se retrouva du côté valdemarien de la frontière, debout dans l’herbe, les yeux dans ceux d’An’desha, à moins d’un pas de lui.

Comment était-il arrivé là ? Un mystère…

Les autres brise-lames sont en place, dit Florian d’une voix mentale rendue presque inaudible par l’épuisement. Tous les trois sont reliés. La frontière d’Iftel en fait partie. Nous avons réussi, Karal.

Le jeune homme se laissa tomber dans l’herbe. Altra y était déjà allongé, totalement vidé.

— Nous avons réussi ?

Vraiment ? soupira Altra. Je crois que je vais rester étendu ici un moment. Un mois serait parfait. Peut-être deux. Comment avez-vous résisté, avec vos pauvres corps d’humains ?

— Nous nous en sortons très bien, merci, répondit An’desha. N’oublie pas queje sais ce que c’est de ne pas en avoir. Alors, ne te plains pas.

Karal décida que l’idée d’Altra – rester allongé – n’était pas mauvaise. Il avait l’impression qu’on l’avait rempli de lumière, puis vidé. Ou qu’on avait retourné sa peau, comme un vêtement, la laissant cuire au soleil du désert avant de la remettre à l’endroit.

De l’aide est en route, annonça Florian. Un Héraut… Reposez-vous jusqu’à ce qu’il soit là.

— Nous avons réussi, répéta Karal d’un ton rêveur.

La barrière tiendra un temps… Nous pouvons souffler un peu.

Souffler. Du temps. Karal cligna des yeux et regarda le ciel bleu. Un petit somme.

Tout sonnait si bien !

Peu importait qu’il soit désormais l’ambassadeur de Karse à la cour de Valdemar, un poste qu’il n’avait pas convoité et qu’il ignorait comment tenir. Et peu importait qu’une jeune Valdemarienne le trouble et l’emplisse de pensées agréables.

L’armée impériale était toujours là… et personne ne savait ce qu’elle manigançait. Karal était désormais une cible majeure. Et une tempête magique cataclysmique approchait.

Pour le moment, cela n’a pas d’importance.

Aujourd’hui, ils avaient du temps.

Un peu de temps – et être ensemble – voilà peut-être tout ce dont ils avaient besoin.

 

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